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LA MÉMOIRE DU CHOCOLAT

par | mer, 3 janvier 2024 | Dossier, Matières premières

L a mémoire joue un rôle essentiel dans le cours de nos existences. Parmi la multitude de ses fonctions, en particulier, elle consigne notre passé, et aussi nos savoirs et notre histoire commune. Malgré cela, elle nous laisse démunie quand-il s’agit d’évoquer nos premiers émois éprouvés à l’égard du chocolat. Je ressens cette impossibilité comme un manque, je dois bien en convenir. Jaurai bien aimé avoir la faculté de m’en souvenir tout en dégustant un chocolat chaud à l’ancienne. Une petite madeleine de Proust en somme. Cela est fort dommage, car un tel moment de réminiscence aurait revêtu une grande puissance émotionnelle. Il faut faire avec… ou plutôt sans !

Ceci dit,  entre nous, vivre des cours culinaires engendrent souvent d’autres instants de résurgence auprès de participants, surtout en pâtisserie. Et ce n’est pas un hasard, attendu que les émotions restent au cœur de l’ADN de la pâtisserie et bien sûr, de la cuisine. Quand cela se produit, se laisser aller à en témoigner offre l’opportunité de partager un moment de son histoire auprès des autres.

L’incapacité dont il est question, celle de se rappeler « cette première fois », incombe à un phénomène dénommé l’amnésie infantile1. Ce phénomène – une singulière énigme selon Freud apparaît comme un révélateur de notre difficulté, voire de notre incapacité, à nous souvenir des évènements vécus lors des six premières années de nos vies. Il s’avère que le chocolat, ou plutôt le cacao,  s’invite dans notre alimentation pendant ces mêmes années, déjà dès six mois. En effet, les biberons de nos bambins sont couramment préparés avec des céréales additionnées d’un trait de cacao, ou plus rapidement avec des céréales du commerce aromatisées au « goût » de chocolat ou encore de vanille. Les bouillies pour bébés à base de céréales ou de Tapioca n’y font pas exception.

En définitive, il reste intéressant de considérer que si l’on ne peut avoir accès sur le plan du souvenir à nos premières expériences émotionnelles, elles n’en sont pas moins imprimées dans notre inconscient. Elles nous accompagnent dès lors tout au long de nos vies. Comme un instinct.

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Le chocolat, … Mais et si l’on en profitait dès à présent pour poser quelques chiffres ?

 

“La consommation des français en 2019 étaient de 4,2 kilos par habitant.”

Oui à raison, dans ce contexte de précocité alimentaire, vous vous dites qu’il est clairement logique qu’autant de personnes soient si éprises du chocolat. Des amateurs de chocolat s’inscrivent même, et ce n’est pas un mythe, dans un rapport de dépendance bien qu’elle soit d’une nature relativement légère.

Pour vous rassurer, quoique… Sachez qu’être sous le charme du chocolat n’est pas uniquement l’apanage des français, petits ou grands. Le syndrome est mondial mais il s’avère être principalement européen. Et la Suisse arrive en tête en 2019, tout comme en 2020, dans le classement des plus grands consommateurs de chocolat* et 2.

Tenez-vous bien ! Les ogres helvétiques en auront dévoré en 2019 tout de même près de 10,4 kilos par habitant2. Un chiffre diablement important surtout rapporté à la Grèce, petite dernière avec une moyenne de 2 kilos. Une consommation marquée cependant en 2020 par un recul en passant à 9,9 kilos. Ils franchissent ainsi la barre symbolique des 10 kilos, ce qui reste pour eux sérieusement inhabituel voire jamais observé depuis 40 ans. Ce comportement semble influencé – du reste comme la consommation des autres pays en 2020 – par les confinements successifs dus à la pandémie Covid19. Pour ce qui est de sa production, elle enregistre en 2020, un recul de 10%.

Quant à nous français, nous nous situons dans une bonne moyenne. Nous sommes aussi de bons mangeurs de chocolat : la consommation des français en 2019 étaient de 4,2 kilos par habitant 2. Le Syndicat du chocolat3, lui par contre, indique une consommation de 7,3 à 8,1 kilos par habitant en s’appuyant sur deux sources différentes. Toujours est-il que notre consommation s’oriente plus particulièrement vers le chocolat noir, de 30% contre 5% pour les autres européens. Sous la pression des consommateurs, le marché du chocolat de la grande distribution s’améliore et propose une meilleure qualité de matières premières : cacao bio, cacao haute qualité, cacao pure origine, sucre de canne, cacao cru non torréfié, lait bio, absence d’huiles autre que le beurre de cacao, sans addictif ni conservateur. Il reste cependant encore des efforts à faire, surtout dans la traçabilité des cacaos mais cela va plutôt dans le bon sens. De manière globale, les produits commercialisés en France à base de chocolat représentent 325 458 tonnes pour un chiffre d’affaires total de 3035 millions d’€uros, avec une exportation à hauteur de 62,5% de sa production dont 81% dans l’union européenne. La période de Noël et de Pâques sont les deux périodes importantes d’achats de chocolat. Et, en 2020, selon les sources du Syndicat, la période de Pâques fut en recul de 27% en grande distribution.

Du reste, la production mondiale observe en 2020 un recul de l’ordre de 1,8% avec une récolte estimée à 4,697 millions de tonnes pour la saison 2019/20204.

Pour ce qui concerne la nouvelle année de 2021, l’Organisation Internationale du Cacao (ICCO) parie sur une augmentation de la production mondiale4 . En février de cette année, elle a publié ses prévisions concernant la production 2020/21.  Elle prévoit une hausse de 2,5 % par rapport à la saison précédente de 2019/20 ; ce n’est pas moins de 4,84 millions de tonnes de cacao qui devraient être récoltées. Un bémol est cependant à souligner : en conséquence de la baisse de la consommation mondiale de 2020 le marché fut excédentaire ; ce qui n’a pas manqué d’occasionner une baisse des prix. Indubitablement, 2021 connaîtra le même sort, car l’ICCO indique une prévision de 102 000 tonnes d’excédents quand d’autres, des traders interviewés par l’agence de presse Reuters, parlent du double. Il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle pour les agriculteurs les plus pauvres, sans compter sur ceux qui doivent de surcroît faire face à des risques accrus de pandémie Covid19 comme au Mexique, au Pérou, en Équateur, au Brésil, ou encore dans le 3ème pays producteur mondial l’Indonésie.

Pour autant, hormis la période Covid19, la demande mondiale de cacao augmente tous les ans et ses adeptes sont de plus en plus nombreux. Pour vous donner un aperçu, en 13 ans, la production mondiale a augmentée progressivement chaque année de récolte pour atteindre 1 million de tonnes supplémentaire, passant de 3,7 à 4,7 millions de tonnes 5 et 6.

L’engouement des humains pour le chocolat semble à présent presque sans limite. Toutefois rétrospectivement, cette passion n’est assurément pas un fait nouveau. Elle se révèle même être plurimillénaire : des civilisations anciennes originaires des Amériques avaient déjà coutume de savourer du cacao sous la forme de différents breuvages. Tout comme nous, elles en étaient véritablement férues.

Seulement voilà… le chocolat, nous savons tous le croquer mais quand il s’agit de savoir ce qu’il recouvre vraiment, nous en avons seulement une vague idée. Il me semble, aujourd’hui d’avantage qu’hier, qu’il est important de s’interroger pour connaître davantage les produits que l’on mange afin de mieux les appréhender.

Alors, au juste, c’est quoi le chocolat?

Il était une fois le chocolat…

 » Le chocolat est, plutôt que le nectar ou l’ambroisie, la vraie nourriture des Dieux » – Joseph Bachot

Voilà la définition bien à propos d’un médecin du XVIIIe siècle qui est régulièrement mentionnée, à juste titre, dans la plupart des sujets attenants au chocolat.

Le chocolat a pour origine une plante, le cacaoyer.

Ce médecin était contemporain du naturaliste Carl von Linné. Il est le père éponyme du système de Linné, le système botanique moderne de classification des plantes. En 1753, Linné classifiera le cacaoyer dans le genre Theobroma7 (Theo : Dieu ; Broma : Nourriture) et lui donna comme nom d’espèce Theobroma cacao, littéralement cacao, la nourriture des dieux.

Pour la petite histoire, Charles de L’Écluse en 1605 et Joseph Pitton de Tournefort8 en 1700, tous deux des botanistes de renom, l’un en Flandres, l’autre en France, ont offert au cacaoyer comme nom d’espèce : Cacao. Ce choix fut influencé par le mot Kakaw qu’utilisaient les Mayas pour désigner la plante. Au final, le suédois Carl von Linné, de son côté, contesta cette option en objectant qu’elle était « barbare » et créa pour lui le nom de genre Theobroma.

Toutefois, auparavant, la première description botanique du cacaoyer a été réalisée par le botaniste Francisco Hernandez de Toledo qui suite à son débarquement de 1572 à Veracruz désigna la plante en s’appuyant sur les noms vernaculaires utilisés par les aztèques. La plante était ainsi nommé cacahoquahuilt, ses fruits cacahoacentli, et enfin ses graines cacaohoalt.

Aujourd’hui, dans la classification, c’est le nom d’espèce Theobroma cacao L. (Linné) de cette plante qui prévaut.

Le cacaoyer appartient à la famille des Sterculiaceae dans la classification classique ou bien des Malvaceae dans la classification phylogénétique. Dans le genre créé par Linné, est classifié 22 espèces dont le cacaoyer fait partie. Parmi elles, l’espèce qui lui est la plus proche est le CupuaçuTheobroma Grandiflorum‘ dont est tiré un chocolat de notoriété locale dit « cupulate » de belle qualité et différentes spécialités (sirop, confiture, desserts). Dans la classification traditionnelle, un triptyque de trois groupes est issu de l’espèce ‘Theobroma cacao L.’ : le Criollo, le Forastero, et le Trinitario.

  • Criollo : Une variété principalement cultivée en Amérique centrale et au Venezuela. Il s’agit de la plus rare et la plus recherchée, non seulement par les amateurs mais aussi par les grands chocolatiers. Le Venezuela est considéré comme le producteur de la plus haute qualité de cacao au monde issu du village de Chuao qui représente 35% de la production totale du pays. Les couleurs des cabosses du Criollo varient selon le stade de maturité : Jaune tirant sur le vert ou le rouge. Cette variété est la plus fragile mais se distingue par la qualité exceptionnelle de son cacao. Pour vous donner un ordre d’idée, une tablette de chocolat « Criollo » peut avoisiner les 12 ou 13 € les 100 grammes. Sa culture assure un rendement relativement faible ; elle représente environ 5 % de la production mondiale.

  • Forastero : A la différence du Criollo, le Forastero se distingue par sa robustesse. Grâce à cette particularité, cette variété est la plus cultivée et dont le taux de rendement est le plus haut. Elle représente 80% de la production mondiale. En revanche, son cacao est généralement de la qualité la plus basse due notamment à une forte présence de tanin dans ses fèves. Il est le cacao de qualité ordinaire avec une saveur plus amère et acide. Ses cabosses arborent une couleur verte puis jaune. Il est le cacaoyer de la Côte d’ivoire et du Ghana, tous deux premiers producteurs mondiaux. Cependant, parmi les Forastero, un cacaoyer tire son épingle du jeu. Il s’agit du ‘Nacional‘ un cépage dont est tiré un cacao de haute qualité relativement proche du Criollo. Il est essentiellement cultivé en Équateur. Il fait l’objet d’une attention particulière, car depuis une dizaine d’années le CCN-51, un hybride « de laboratoire » (composé de 7 des essences fondamentales) à haut rendement mais de moindre qualité, tend à le substituer. Attention à bien lire les étiquettes lors de vos achats !

  • Trinitario : Il s’agit d’une variété hybride issue du Criollo et du Forastero née sur les terres de l’Île de la trinité au nord-est du Venezuela. L’histoire de son origine remonte à l’invasion espagnole des terres Américaines. Ses cabosses sont généralement de couleur orangée. Elle s’avère être une hybridation spontanée qui combine les qualités et les défauts des deux variétés : robustesse et bon rendement grâce au Forastero, bonne qualité d’arômes et de saveur grâce au Criollo. Toutefois elle n’égale aucune des deux variétés. La qualité de cette variété réside dans ce qu’elle est : un compromis, ce qui en soi n’est pas négligeable. Elle représente 20 % de la production mondiale.

À cela, il convient d’ajouter qu’en 2008, une nouvelle classification a vu le jour et tend à s’imposer. Les variétés, ou plutôt les essences fondamentales répertoriées, au nombre de 10, sont les suivantes : Criollo, Nacional, Amelonado, Contamana, Curaray, Cacao guiana, Iquitos, Marañon, Nanay, et enfin Purús.

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Le cacaoyer est originaire des Amériques, plus vraisemblablement équatoriale d’Amérique du sud allant du Venezuela au Bassin ouest de l’Amazonie, notamment en contrebas de la Cordillère des Andes entre 200 et 400 mètres d’altitude . Il pousse cependant jusqu’à des altitudes de 1000 m en Équateur mais il s’agit d’une exception . Le Theobroma cacao est un arbre de taille moyenne. Il mesure entre 10 et 15 mètres9, et il grandit sous les ombrages protecteurs des plus grands arbres de la canopée forestière. Le cacaoyer reste une plante relativement sensible voire fragile. Elle demande un taux d’humidité constant dont la teneur hydrométrique optimale confine à 85% et une température autours de 25°c. Elle pousse naturellement à l’abri des vents, du soleil direct, et de la sécheresse qui au plus ne doit jamais excéder 3 mois. Ces critères constituent pour elle une nécessité vitale. Par ailleurs, le cacaoyer est aussi relativement sensible aux maladies surtout en ce qui concerne la plus ancienne variété cultivée, le Criollo.

Le cacaoyer produit plus de 100 000 fleurs par an mais seule la nouaison d’environ 150 cabosses s’accomplira.

Le Theobroma cacao est une espèce de plante cauliflore : ses fleurs et ses fruits ont la singularité de pousser directement sur son tronc ou ses branches les plus grosses. Il s’agit d’un phénomène également identifié auprès d’autres plantes de type tropicales comme le Jacquier ou bien encore plus proche de nous, l’arbre de Judée issu du bassin méditerranéen.

Fleurs de cacaoyer – Wendy Cutler

Ses fleurs de couleur blanche ou crème sont immensément petites (0,5 à 1 cm) en comparaison de ses gros fruits. Elles sont groupées en inflorescences et émergent de la croissance de certains bourgeons auxiliaires suite à la chute des feuilles d’un vert foncé. Ces bourgeons auxiliaires devenus inflorescences gardent la mémoire de cette fonction et se développent chaque année au même endroit. Cela finit par former des sortes de boursoufflures, nommées des coussinets floraux. La floraison se fait par vagues successives toute l’année sur ces mêmes coussinets.

Les fleurs, hermaphrodites, sont pollinisées par de minuscules insectes entomophiles – des porteurs de pollen – tels les moucherons du genre Forcypomyia ou les fourmis du genre Crematogaster.

Cabosse de Forastero – Theobroma cacao L. (Linné)

Quant à ses gros fruits, ce sont des baies remarquablement cossues en forme de petit ballon strié américain d’un poids moyen de 350 gr. Elles se nomment des cabosses, et à l’instar de ses fleurs, apparaissent toute l’année. Il en résulte que l’arbre arbore dans le même temps des fleurs et des fruits. Le cacaoyer produit plus de 100 000 fleurs par an mais seule la nouaison d’environ 150 cabosses s’accomplira. La nouaison désigne le premier stade de développement du fruit après fécondation de l’ovaire de la fleur. L’insuffisance de fleurs qui se « fixent » en fruits s’explique notamment par du stress hydrométrique parfois subit par l’arbre au moment de hausses des températures lors de la période estivale. En conséquence, les fleurs fanent et tombent dans les 5 jours suivant le stress. Eh oui ! Il est sensible.

 

Le nom de cabosse est donné au fruit du cacaoyer dont le stade de pleine maturité a été atteint. Avant ce stade, le fruit porte le nom de chérelle et sa croissance prend entre 5 et 7 mois. Leurs péricarpes – leurs coques – protègent des graines en forme d’amande plus ou moins charnues, imbriquées en 5 rangées communément appelées des fèves.

 

Une pulpe blanche entoure ces fèves, il s’agit d’une substance aqueuse légèrement sucrée et acidulée, le mucilage. La pulpe constitue l’élément clé permettant la fermentation des fèves lors de l’élaboration du chocolat.

Théoriquement, cette substance sucrée semble être à l’origine de l’intérêt des autochtones du passé pour le cacaoyer. Probablement grâce à l’observation des animaux qui devaient alors s’en nourrir. Ils fabriquaient avec elle une boisson fermenté et alcoolisée.

Dès lors, le chocolat se prépare doucement à être inventé !

Les civilisations anciennes d’Amérique latine et le cacao

« Connaître son passé, c’est mieux avancer vers son avenir. » Aimé Césaire

L’ amnésie infantile selon Freud résulte d’un mécanisme de refoulement qui nous empêche d’avoir accès à nos souvenirs, à notre mémoire. Quand il s’agit de notre mémoire commune, notre histoire, c’est à dire l’histoire humaine ; il est primordial de veiller qu’elle ne s’altère pas, ni ne sombre ou ne reste dans l’oubli. Afin de pallier à ces scénarios,  le rôle de l’archéologue et de l’historien est indispensable et complémentaire. Pour l’essentiel, le premier s’évertue à reconstituer la vie du passé quand l’autre s’occupe d’analyser les faits du passé. Tous deux s’efforcent à nous restituer le fruit de leurs travaux dans un souci de sauvegarde et de conservation du patrimoine humain. Au final, cela permet de savoir qui nous sommes, et d’où nous venons, dans le but d’éclairer notre présent et notre futur.

L’histoire du cacaoyer avec les hommes, s’inscrit ainsi dans une longue temporalité, celle du passé, du présent, et de l’avenir ; il s’agit dès lors d’interroger leurs mémoires.

 

Au-delà de 9 000 kilomètres à vol d’oiseau, au cœur des forêts tropicales de l’oiseau sacré Quetzal…

Le cacaoyer a été découvert et utilisé, il y a des siècles, par les hommes issus des mêmes régions américaines, au centre et au sud du continent ; elles font parties de l’Amérique latine.

Les traces de cacao les plus anciennes d’Amérique centrale se situent dans des zones culturelles ethniques qualifiées usuellement de pré-colombiennes, la Méso-Amérique. Ces traces ont été dépistées dans des récipients en céramique au Mexique sur deux sites de culture Olmèque datant du IIe millénaire entre 1900 et 1700 av. J.-C10. Le premier est Olmèque, le site d’El manatí dans l’État de Veracruz. Le site Mokaya de Paso de la Amada est le deuxième. Les Mokayas sont considérés de culture Olmèque tout en étant contemporains des Olmèques avec lesquels ils auraient commercé. Les preuves démontrent que le Theobroma cacao L. était consommé sous la forme de boisson par les Mokaya dès 1900 av. J.-C. et par les peuples Olmèques (El manatí) dès 1750 av. J.-C.

Selon les archéologues, en considérant la présence de cacao dans ces céramiques, les Mokayas auraient donc été les premiers en Méso-Amérique à domestiquer et à cultiver le cacaoyer et à utiliser ses fèves en vu de la fabrication d’une boisson chocolatée. Les premiers donc à ouvrir les cabosses, en retirer les graines et à procéder aux étapes de fabrication d’une pâte servant à créer la boisson chocolat : séchage, fermentation, torréfaction, broyage.

En outre, ils seraient aussi en tant que premiers utilisateurs peut-être un acteur de l’importation en Méso-Amérique de la plante native théoriquement d’Amérique du sud. Une origine récemment confortée par une équipe d’archéologues travaillant sur un site découvert 13 années plus tôt.

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Effectivement, dans le brouillard permanent des hautes terres accidentées du sud de l’actuel Équateur, sur le versant oriental de la Cordillère des Andes à 1000 m d’altitude, a été mis à jour les traces de la plus ancienne civilisation utilisant du cacao de toutes les Amériques.

Au cœur de la province Zamora Chinchipe, en 2005, une expédition franco-équatorienne11 révéla des vestiges d’une civilisation andine datant de la période formative pré-classique, au IIIe millénaire, il y a 5300 ans. La culture hautement développée de ces peuples des Andes pris pour surnom la culture « Mayo Chinchipe-Marañón« . Ce surnom fait référence à deux rivières : l’une nommée Chinchipe en Équateur et Mayo au Pérou. Elle se jette dans l’autre, la rivière Marañón née et courant au Pérou. Cette civilisation occupait la zone occidentale de L’Amazonie, il y a 5500 ans.

Le site de Santa Ana-de Florida12 en est le gisement archéologique le plus important actuellement connu et le plus ancien.

« la plus ancienne utilisation enregistrée de cacao« 

À l’instar d’autres archéologues, Michael Blake, un archéologue de l’Université de Colombie-Britannique au Canada travaillant avec une équipe13, dont l’archéologue Francisco Valdez de l’Institut de Recherche pour le Développement basé en France14, sur le site de Santa Ana, a eu également une intuition. Tout en sachant que vraisemblablement les cacaoyers sauvages sont originaires des forêts du nord de l’Amazonie, il a remarqué une similitude sur les poteries retrouvées le site de 2005 avec des récipients fabriqués par les Mayas de Méso-Amérique. Ces contenants étaient utilisés pour la confection du cacao sous forme de boisson. Jusqu’à présent personne n’avait encore songé à procéder à des analyses pour retrouver des traces de cacao dans ces récipients.

Son intuition se révéla juste. Les éléments ainsi collectés puis analysés constituèrent des preuves irréfutables attestant bien de l’utilisation régulière du cacao par cette culture.

Présentement, il en résulte que l’équipe de chercheurs rapporte qu’elle est « la plus ancienne utilisation enregistrée de cacao« . Ils forment aussi l’hypothèse que cette civilisation a dû domestiquer le cacao, 1500 ans environ avant les Olmèques en s’appuyant notamment sur 19 artefacts trouvés portant des traces de cacao. Et ce, à contrario des recherches de Juan Carlos Motamayor Arias, ingénieur agricole chez Universal Genetic Solutions LLC, et de son équipe qui assurent n’avoir trouvé aucune empreinte génétique de domestication du cacaoyer dans la région du même site. Ces deux positions différentes témoignent de deux « courants » existants pour expliquer le processus de la domestication du cacao :

  • Le cacao aurait été introduit en Méso-Amérique avec l’époque des Olmèques à partir des cacaoyers d’Amérique du sud et que la domestication se serait produite avec eux.

  • La domestication du cacaoyer se serait produite en Amérique du sud puis se serait propagée en Amérique centrale et au Mexique avec le commerce Amérindien.

Cependant, Blake et son équipe, n’évoquent pas de preuves tangibles de cultivation mais en revanche, cette découverte – ainsi que le révèle aussi les analyses génétiques publiées le même mois par Juan Carlos Motamayor – conforte la haute probabilité selon laquelle l’origine du cacaoyer serait véritablement du nord de l’Amazonie en Amérique du sud, particulièrement en Équateur.

Pour autant, à leurs yeux un mystère demeure : ils ne sont pas certain du procédé d’acheminement de la plante à des fins de culture, car d’une part les graines de cacao ont une viabilité de courte durée estimée de 48 heures, et d’autres part un semis ne peut plus se pratiquer au-delà de deux semaines après la maturité des cabosses. Et effectivement, des milliers de kilomètres séparent le nord de l’Amazonie des terres Méso-Américaines Olmèque et Mayas.

Ils suggèrent cependant en filigrane, d’une l’influence bien plus prégnante des anciennes cultures du sud de l’Amérique sur celles d’Amérique centrale, contrairement à ce qui était pensé jusqu’à présent.

*

C’est donc sous influence qu’en Méso-Amérique à plus de 3500 kilomètres de l’Équateur ou du Venezuela que plus tard émergea un triptyque civilisationnel majeur pratiquant la domestication et la cultivation du cacaoyer. Les Olmèques qui est la civilisation la plus ancienne (préclassique ancien et moyen), les Mayas une civilisation intermédiaire (classique) et la civilisation la plus récente, les Aztèques (Post-classique). Ces trois civilisations cultivèrent toutes le cacaoyer.

Les Olmèques

Les études de la civilisation des Olmèques et de ses vestiges sont relativement récentes, au contraire des deux autres civilisations dont les témoignages du passé sont plus nombreux. L’olmécologie naît en 1862 ; date pionnière de la mise au jour de la première tête colossale de style Olmèque. Il faut néanmoins attendre environ 70 ans pour que l’essor de l’olmécologie prenne un tournant nouveau avec la découverte d’objets et d’une seconde tête colossale Olmèque.

 

Au  total, à ce jour, ce sont 17 têtes casquées et sculptées dans du basalte ou de l’andésite qui ont été exhumées. Les Olmèques ont vu leur civilisation atteindre un très haut niveau de développement ; ils étaient les plus avancés de leur temps. Ils ont été surnommés Olmeca, le « peuple du pays du caoutchouc » en langue Nahuatl car des sites archéologiques révélèrent lors de fouilles la présence de balles en caoutchouc. Elles constituent la preuve de la domestication d’un arbre à caoutchouc, le Castilla Elastica. Toutefois, ils sont surtout connus comme les façonneurs des têtes. Cette civilisation mère était implantée au Mexique dans le sud de l’état actuel de Veracruz et dans le nord du Tabascos. Deux régions riches de végétations et de ressources autorisant le développement de leur culture. A cela s’ajoute d’autres implantations en Méso-Amérique qui iront s’étendre jusqu’au Costa Rica.  Villes, pyramides, écriture, calendrier, stèles commémoratives, sont à mettre au compte des Olmèques en plus du caoutchouc qui marque l’apparition du jeu de balles. Les trois principaux sites cérémoniels Olmèques sont San Lorenzo, La Venta, et Tres Zapotes.

La culture Olmèque s’étend de 2500 à son déclin vers 500 ans av. J.-C . , entre la période préclassique ancien et préclassique moyen.

Sous le nom d’Olmèque est désigné deux réalités différentes, d’une part le peuple des régions précédemment évoquées et d’autre part le style culturel. Cette civilisation est envisagée aujourd’hui en tant que la « culture-mère » des autres civilisations Méso-Américaines qui lui ont succédé. Les découvertes qui établissent la culture Olmèque, d’une part comme la plus ancienne connue, et d’autre part qui présente des caractéristiques culturelles communes aux civilisations suivantes.  Les archéologues la considère, nous l’avons déjà vu, comme ayant domestiqué et cultivé le cacaoyer, et aussi le maïs, la pomme de terre. L’économie Olmèque15 avait pour base les produits agricoles qui étaient commercés entre eux et avec d’autres peuples proches (Mokayas), du Mexique central (Tlatilco), du Guatemala, du Honduras, et du Salvador : Maïs, Cacao,  Haricots, Courges, Pommes de terre. Les peaux d’animaux, jaguars et crocodiles, le sel, étaient aussi des sources d’échanges commerciaux, tout comme des articles tels des poteries, des armes, ou encore des sculptures.

Ils connaissaient le processus  de la fabrication  de la boisson Kakawa – cacao en Olmèque ancien. L’invention de la fabrication de cette boisson leur est acquise. Cependant, cela est peut-être remis en cause en considérant la culture « Mayo Chinchipe-Marañón«  et ses contenants servant à la confection du cacao sous forme de boisson découverte en 2005.

Toujours est-il qu’en Méso-Amérique, il est certain que les Olmèques furent les premiers à procéder aux étapes de fabrication d’une pâte servant à créer la boisson chocolat : séchage, fermentation, torréfaction, broyage. Le cacaoyer Criollo était la source cultivée et utilisée comme matière première à confection de cette pâte. Elle était mélangée ensuite à de l’eau. Cette base était ensuite aromatisée d’herbes, de piments, d’épices, et peut-être de maïs. Une boisson amère similaire à celles des Mayas et des Aztèques que nous connaissons mieux grâce aux nombreuses traces et récits qui nous sont parvenus ; la culture du cacaoyer et son mode de consommation s’étant en effet, propagé et étendue aux populations contemporaines des Olmèques mais aussi aux civilisations suivantes qui vont s’étendre de la période classique à la période post-classique. 

La mémoire du chocolat :

Dans une prochaine parution, nous aborderons la suite du récit de ce triptyque civilisationnel des peuples anciens Méso-Américains commencé avec les Olmèques. Nous poursuivrons avec la civilisation Mayas, puis Aztèques, toutes deux héritières directes de la culture Olmèque. Tout cela avant l’expansion du cacao inhérente à l’invasion de la civilisation européenne menée par les espagnols en Amérique annonciatrice de l’industrie du chocolat moderne.

Suggestion à votre intention

 

Bibliographie – Sitographie Internet – Sources

* Source : Chocosuisse & Caobisco Statistical Bulletin

1 : https://www.cairn.info

2 : https://www.chocosuisse.ch/fr

3 :https://www.syndicatduchocolat.fr

4 : https://www.icco.org

5 : https://www.sikafinance.com

6 : https://www.icco.org

7 : BRAUDEAU J. (1969) – Le cacaoyer . Collection Technique Agricoles et Productions Tropicales : Xvnl p304. Paris

8 : https://books.google.fr

9 : http://www.nzdl.org

10 : https://www.sciencemag.org

11 : https://journals.openedition.org

12 : https://www.futura-sciences.com

13 : https://www.sciencemag.org

14 : https://www.ird.fr

15 : https://www.greelane.com

À propos de l'auteur

Un zeste de gourmandise, des années de savoir-faire, et une passion de transmettre les savoirs de son métier, qui passe cette fois par l'écriture hors du champs des pianos et de la couleur ambrée des beurres noisettes. S'il était un dessert, assurément, il serait un Paris-Brest crémeux serti d'un praliné pur, assaisonné de quelques grains de fleur de sel et d'un soupçon de zeste de citron. A la fois rassurant et réconfortant mais résolument les pieds ancrés dans la tradition culinaire avec l'esprit qui s'émancipe au delà des frontières et des apparences que l'on tient pour acquises.

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